A Sevran (93), ça doit chier grave. Pour qu'un maire écolo, ex-coco de surcroît, s'en
vienne implorer le secours des Casques-Bleus et même de la Légion (waouh!) faut
vraiment que les choses partent en quenouille pire que jamais. D'où la nécessité, dare-
dare, de transporter Guéant sur les lieux afin de remettre les pendules à l'heure comme
quoi c'est à la Police de la République, sacrebleu, de faire régner l'ordre et la paix sur
le Territoire National.
Parceque, croyez le ou non mais Sevran reste partie intégrante de la France, Monsieur.
Parfaitement! En dépit des apparences, certes, mais quand même, bordel, le Neuf-Cube
c'est autant la France que la Creuse ou Mayotte, pareil! Si vous voyez des différences,
vous vous foutez le doigt dans l'oeil jusqu'au fond du slip. Y en a pas. Avant, aux temps
honnis de la hideuse colonisation, on évoquait "La France de Dunkerque à Tamanrasset"
( ou Tonramassemiettes, comme disait Béru). Aujourd'hui, la France on la voit de Guéret
à Sevran. Pareil. La République Une et Indivisible règne sur Mende et sur Mamoudzou
comme elle exerce sa légitime souveraineté à Bobigny ainsi qu'à Montfermeil.
Totalement et sans partage!
Bon, après, comme disait Audiard, c'est pas le tout de le dire mais faut le faire.
Là, en effet, Guéant se trouve un peu plus ennuyé car la souveraineté implique
nécessairement les voies et moyens de l'ordre-public, lequel s'en prend dans la vue
quand on ne peut plus sortir de chez soi sans risquer de morfler une bastos de
Kalchnikov . Cependant la règle républicaine intangible veut qu'en pareil cas la Police
se charge de rétablir l'ordre et la paix civile. Y a pas plus de Légion Etrangère que de
Casques-Bleus Ougandais, les flics et personne d'autre, crénom!
M'enfin, où il va cette espèce de pastèque fraîchement verdie de Maire de Sevran,
avec ses histoires de soldats Onusiens? Il se croit en Afrique? Oui, peut être, il a ses
raisons, d'accord mais quand même! Dans ces cas là on se maîtrise. On fait semblant.
On garde à l'esprit les responsabilités inhérentes à l'édilité municipale. On reste droit
dans ses bottes, même si les petits jeunes ont subrepticement cagué dedans. On force
le respect en demeurant tranquille et souriant à la mitraille Sevranaise, on se garde
impérial en bravant la fournaise! On reste la chetron froide, quoi, merde! C'est pas
paceque quelques milliers de "chances-pour-notre-pays" se disputent le territoire du
marché droguiste à coups de fusil mitrailleur qu'il faut baisser les brailles, putain!
La République nous appelle, sachons vaincre ou sachons mourir, nom de Dieu!
Donc on envoie la Police de la République. Les Compagnies Républicaines de Sécurité,
pour tout dire. Contre l'arme de guerre ce sera peut être un peu juste mais les principes
l'exigent et les principes sont à la République ce que la quéquette est au directeur
de FMI : le pilier tutélaire qui soutient l'édifice entier. Impossible de transiger là-dessus.
Et non seulement on va envoyer les CRS, ce qui, déja apparaît comme l'expression
d'une audace indicible mais encore, on prévoit, par ce moyen, de rétablir la paix à Sevran.
En tout cas, d'essayer. Guéant l'a promis aux citoyens dépités de cette jolie bourgade
des bords du Canal de l'Ourq. "Vous y avez droit", leur a t-il déclaré.
Ben oui, c'est vrai ça, après tout, nul ne saurait à bon escient prétendre le contraire .
On ne voit pas l'obscure raison pour laquelle les petits nenfants des écoles de ce
bled se verraient contraints de rester en classe quand leurs petits camarades de
partout ailleurs, Mamoudzou compris, vont tranquillement se filer des peignées en
cour de récréation.
Sinon, en mettant les choses au pire, si vraiment on n'y arrive pas avec les CRS, on
pourrait les doter de gilets pare-balles, les bambins de Sevran, qu'ils puissent aller
prendre un peu l'air de temps à autres. Ils y ont droit, quand même, flûte alors!
Et n'allez pas me raconter qu'on n'aurait pas les moyens. Un gilet pare-balle c'est
moins cher qu'un radar pédagogique, pas vrai Guéant? Ce qu'on pourrait faire, si
vous voulez, ce serait d'en distribuer gratuitement aux populations les plus défavo-
risées, les petits frères des tireurs, en somme.
A charge pour les autres, les friqués, les céfrans, soyons clairs, de se démerder.
Comme le gilet pare-balles sera rendu progressivement obligatoire dans toutes les
écoles ça va faire un joli marché. Pas comme le cannabis mais presque. Avis aux
petits futés qui voient loin : y a du blé à se faire dans la tenue kévlar tailles 3 à 12ans!
Au dessus, plus la peine, ce sont eux qui tiennent la Kalach.
Comme vous voyez, pas besoin d'en faire un fromage, on arrive toujours à s'adapter!
Sans compter que, sous la djellaba ou le niqab, la veste blindée on ne la voit même pas.
Discrétion absolue et sécurité totale, voilà le travail. Il joue sur le velours, pas vrai, notre
bon Ministre de l'Intérieur, gagnant sur tous les tableaux! L'Ordre Républicain sortira
toujours vainqueur, CRS ou pas.
Alors, évidemment on pourrait rappeler les vieilles histoires de Kärcher. Présenter
quelques observations relatives à l'aggravation d'une situation que certains se faisaient
forts de régler en deux coups de jet à haute pression. Bien sûr, mais à quoi bon?
D'abord, ça saute aux yeux qu'il n'y a plus grand chose à espérer de la République dans
ce domaine. Elle succombe sous le nombre, la République, elle se trouve complètement
dépassée par les évènements. Et ils vont vite, les évènements, bien plus vite que nos
pauvres services d'ordre ne sont en mesure de se bouger. Pendant que les
petits jeunes tiraillent à Sevran, les Kurdes se révoltent à Arnouville et à Evry.
La flicaille, forcément, a du mal à suivre, vu les trente-cinq heures et la vitesse moyenne
un peu juste des cars de CRS.
Sans compter que toutes ces affaires foireuses se révèlent toujours plus ou moins liées
à l'immigration. Faut pas le dire parceque la vérité pue un peu, naturellement. Cependant
les Auvergnats et les Bretons, dans tout ça, on ne les voit guère. Or, c'est bien là que le
bât blesse.
La République, justement, se doit de traiter tout le monde de la même façon. L'ensemble
des déclarations émanant des meilleurs de nos politicards, je veux parler naturellement
des élus de Gauche, va dans le même sens : n'a le droit de se dire républicain que celui
qui voit tout pareil, du fin fond du Cantal jusqu'au coeur nucléaire des cités chariatisées :
ein Reich, ein Volk, eine Grosse Republik! Alors, si on envoie les CRS à Sevran, il faut
aussi lancer des opérations de maintien de la paix civile à Plougastel et à Riom-es-
Montagnes.
L'Ordre Républicain doit régner partout, même là où c'est pas la peine. Voilà!
Parceque, nom de Dieu, y en a raz le cul de stigmatiser toujours les mêmes. On
stigmatise, on stigmatise et après on s'étonne que nos quartiers bruissent de rafales
d'armes automatiques. Honte à Guéant et à ses pareils qui ne songent qu'à envoyer
les forces de l'ordre à Sevran et jamais à Deauville! Sans compter qu'à choisir,
ils préfèrent, les CRS, y a pas photo. Ils aiment mieux se prendre des embruns dans
la gueule que des machines à laver tombées du quinzième étage.
Nous navigons là dans les mêmes eaux croupies que celles où prospèrent les contrôles
d'identité. Vous pensez bien que la République ne tolère pas la moindre dérogation au
principe d'égalité. Tout le monde pareil, putain, le bourge sexagénaire comme le petit
jeunot vaguement tibulaire et, autant que possible, on amène un peu le premier
au commissariat à coups de pompe dans le cul. Au nom sacré de l'Ordre Républicain!
Y a pas de raison!
Et enfin, vous savez, la République, on l'aime, forcément, on ne sait pas trop pourquoi,
bien sûr, mais on l'aime. Très fort. Mais quand on aime on peut aussi reconnaître
certaines choses. Comme par exemple que depuis qu'elle existe, la République, elle
ne fait pratiquement que des conneries. Et que ça s'aggrave avec le temps.
Alors là, bien sûr, force est de constater qu'on la retrouve un peu dans le pétrin et sans
vraiment savoir comment elle pourrait s'en sortir. Tiraillée entre des principes à la con
et le désir de continuer à les appliquer en dépit de circonstances parfaitement incom-
patibles avec lesdits, conduite par des branques qui ne se soucient que de leurs propres
carrières, envahie par des hordes plus ou moins sauvages assoiffées de pognon facile,
elle part carrément en sucette, la République, elle a tellement de plomb dans l'aile qu'elle
ne vole plus qu'en piqué.
D'où l'on peut aisément déduire que l'Ordre Républicain ressemble plus désormais à
la belle ordonnance des souks et du Bouzbir qu'aux alignements surannés des jardins
de Versailles. Ca n'empêche pas de s'appuyer dessus mais il ne faut pas s'étonner,
en pareil cas, de se péter la gueule.
Veuillez croire en mes plus vives amitiés,
Et merde pour qui ne me lira pas.