"Ah ben flûte alors", qu'il m'a dit Grauburle, le retraité des PTT (on ne dit plus mais je
m'en tape), "vla t-y pas qu'ils me carbonisent les vacances, ces cochons-là!".
Furax, Grauburle! Il se sent trahi, abandonné, niqué, même, révérence parler, accablé
des malheurs où le destin le range, désespéré, amer et dégoûté.
Pas plus tard que demain matin, il devait embarquer, avec Mémaine, sa grosse!
"Un séjour hydillique à 230 € la semaine, tout compris, dans un deux-étoiles luxe,
quasiment les pieds dans l'eau. Enfin, c'est quoi ce soukh? Tiennent pas leurs
engagements, ces bou...ces abrutis. Vous programmez tout, bien pépère, sans rien
laisser au hasard, comme une tournée de facteur, si vous voulez et puis, au dernier
moment, va te faire foutre, plus de son, plus d'image, le bordel arabe et la chienlit
bien fienteuse!
Comment vous voulez qu'il s'en sortent, hein, dites moi? Qu'ils nous foutent la
panique chez nous, on comprend, c'est normal, on l'a bien cherché à colonialiser à
tout va, comme des charognards, on n'a que ce qu'on mérite! Mais chez eux, sacré
nom de Dieu, on sort du cadre, là! Hors-jeu, faut siffler la faute, merde, qu'est-ce qu'il
branle l'arbitre, alors, la putain de sa mère qui l'a chié, quand même, où ça va ça?
Voilà des gus, ils crèvent la dalle, on leur apporte notre pognon de touristes, voyons,
ils en vivent, du blé des français qui leur font l'honneur de venir les voir. Même pas
foutus d'un peu de reconnaisance. Egoïstes, inconscients, malappris, sauvages, valent
pas une pipe de tabac ces andouilles. En plus, ça te vous cisaille la branche pourrie
sur laquelle ça se repose! De la racaille, je vous dis, des gougnafiers, tous autant
qu'ils sont!
Qu'ils crèvent, tiens, justifient pas mieux!
Et on va aller où, nous, avec Mémaine? O.K. on nous rembourse, qu'il a dit, le voyagiste.
Et après? Ca nous fabrique une belle jambe, crénom! Où voulez vous qu'on se balade
avec 230 €, mon pauvre? Sur la Côte d'Azur?
Non, tu parles, on va rester au H.L.M. comme des cons. Alors que ça nous faisait un
sacrément chouette changement. Pas tellement pour les gueules, c'est à peu près les
mêmes, faut reconnaître. Mais la mer, le soleil, le sable blanc, les types qui se tiennent
tranquilles...enfin avant, et qui vous servent avec l'obséquiosité due à votre rang de
riche occidental.
Mémaine elle s'en faisait une joie quasi-orgasmique, elle qui nettoyait les chiottes de la
communale, comme boulot. Vous mordez un peu l'immensité de la déception, tout de
même? Surtout qu'elle va me le faire payer à moi, la salope, me faire tartir dix-mille
fois plus, pour déglutir la grosse pilule. Comme quoi j'ai juste choisi le moment qu'il fallait
pas. Si ça se trouve je vais l'avoir fait exprès, vous savez comment sont les femmes,
pas vrai, toutes plus vachardes les unes que les autres. Surtout Mémaine!"
Bref, une catastrophe, pour ce pauvre bonhomme, les évènements de Tunisie.
Que voulez vous, chacun voit midi à sa porte. D'aucuns pourront se réjouir du sursaut
salutaire manifesté par ce petit peuple, désormais bien déterminé à secouer le joug
affreux de la dictature qui l'opprime. D'autres, pour suivre le conseil à la con d'Hessel,
s'indigneront du sort des martyres de la liberté tombés sous les balles d'infâmes C.R.S.
S.S. inféodés aux oppresseurs du peuple.
Bon. Grauburle, lui, il voit juste que ça lui fout en l'air ses vacances de rêve. Question
de point de vue.
En revanche, moi, je me demande ce qu'il convient d'en penser. Je n'y connais pas grand
chose,au Maghreb. Tout ce que j'en perçois se résume aux emmerdements qui sourdent
d'Afrique du Nord depuis des palanquées de siècles. D'autant qu'ès qualité de
méditerranéen de très vieille souche, je sais de mémoire ancestrale que les voisins
d'en face n'ont jamais arrêté de nous pourrir la vie ( voir L'affaire se corse. ).
Sauf entre 1830 et 1954. Et encore.
Et pan dans les dents! Je ne m'y attendais pas si tôt à celle-là. Voila qu'en même temps,
alors que je gratouille laborieusement, en direct live, pour causer comme il faut
aujourd'hui, on apprend que Ben Ali, le dictateur de Tunis, a cessé définitivement de
dictater et vient de foutre son camp avec la célérité outrancière d'un compagnon
charpentier à philanthropie contrepétomane (débrouillez vous avec).
Pas de nature à réconforter Grauburle, cette histoire.
Ca ne lui rapproche pas les vacances à Hammamet!
Oui, parcequ'à partir de maintenant la Tunisie entre dans une de ces putains de zones
de turbulences dont on sait précisément quand elle commencent mais jamais trop
quand elles vont prendre fin..
C'est chaque fois pareil. Vous avez un régime bien stable en apparence et avec l'air si
costaud qu'on pourrait, en étant, il est vrai, encore plus con que nature, le croire éternel.
Quand il s'écroule, en général, c'est l'euphorie de la liberté retrouvée et de l'espoir qui
renaît sur le tas d'immondices.Et puis, juste après, on voit arriver la panique, le bordel,
le foutoir, la discorde, la guerre civile, le bain de sang, la misère noire, les pillages,
le brigandage, l'épuration, les dénonciations, les exécutions sommaires,
les basses vengeances opportunistes, la répression sauvage, pour enfin aboutir à
l'instauration d'un régime encore pire que celui qu'on a voulu chasser.
En l'occurence, je ne le leur souhaite pas aux Tunisiens, oh certes non, mais ça
pourrait bien être celui des Frères Musulmans or something else.
Vous avez remarqué, n'est-ce pas? Ce sont toujours les jeunes qui font les révolutions.
Les jeunes un peu instruits, la plupart du temps. Ceux à qui on a bourré le mou avec
tout un tas de foutaises d'intellectuels. Liberté, Egalité, Fraternité, droits de l'homme,
droits de la femme et patin couffin, tout des jolis trucs quoi, vachement attrayants et
qu'on mourrait volontiers pour, enfin façon de parler. Cependant on ne leur dit pas
grand chose des suites, Terreur, Guillottine, Comité de Salut Public, guerre,
conscription obligatoire, assignats, inflation de folie, ruine, désastre et désolation.
Ca, on écrase, on ne leur en parle pas, aux jeunes, ça pourrait leur démolir le rêve et
leur enlever le goût des révolutions. Alors, comme, au fond, ils ne connaissent ni ne
savent rien, ces petits, ils se lancent à corps perdu dans l'aventure comme leurs
aînés qui n'y sont plus. Et le cortège de merde suit tranquillement. Comme toujours.
Finalement, son talon d'Achille, à ce vieux mafieux de Ben Ali, vient probablement
du gros investissement qu'il a consacré à l'instruction du bon populo. Du coup, les
jeunes dont je viens de parler, se trouvaient là, disponibles et sans boulot. Le ventre
vide mais la tronche pleine. Alors ça n'a pas loupé. Il a suffi que l'un d'entre eux, à
bout de souffle et complètement désemparé, se fasse cramer en place publique,
pour allumer le feu sacré de l'insurrection.
Enfin, ils se seront toujours débarrassés d'une belle ordure, les Tunisiens.
Et puis, après tout, rien ne permet d'affirmer que leur aventure va virer au caca.
On ne sait jamais. Il peut bien tourner, leur pays, reprendre du poil de la bestiole,
devenir prospère, yop là boum, riche, même, allez savoir. Et puis faire tâche
d'huile dans tout le Maghreb qui trouverait les voies de la croissance, de l'opulence,
de l'émergence mondialisée. La nouvelle Singapour, quasiment, pour dire.
Il se verrait alors en mesure, le Maghreb, de rappeler à lui tous ses enfants,
diasporisés dans une France en voie de sous-développement, bientôt incapable
de les nourrir.
Voyez vous, en cherchant bien et avec un peu d'imagination, on arrive toujours à
dégotter des raisons d'espérer. Enfin, pas vraiment des raisons mais on s'en fout,
l'espoir n'en a jamais eu besoin.
Cela dit, pour en revenir, Grauburle, il ferait bien, quand même, de se dénicher une
autre destination de voyage. En attendant.
Qu'est-ce que vous diriez de Maubeuge?
Allez, mektoub, labbès et merde pour qui ne me lira pas.