L'affaire est dans le sac. Tout le monde se déclare content et satisfait.
Les manifestations du 23 Septembre 2010, vives, hautes en couleurs, bien
nombreuses, vociférantes, unitaires et joliment couvertes par les media, viennent
de se dérouler dans la joie des retrouvailles fraternelles ainsi qu'antisarkozistes.
Bien sûr, les couillons qui défilaient semblaient un peu plus clairsemés que la
dernière fois, ce que les chiffres du Ministère de l'Intérieur confirment. Mais les
syndicats soutiennent évidemment le contraire. Personne ne produisant, ainsi qu'il est
d'usage, le moindre commencement de preuve susceptible d'étayer un tant soit peu
ses dires, nous nous contenterons de constater que la révolte populaire a bien l'air
de stagner un peu. Comme si les braves gens se bornaient à prendre leur parti
d'un ratiboisement des retraites dont ils sentent confusément le caractère inéluctable.
D'ailleurs, à y regarder de plus près, en dehors des professionnels du syndicalisme
et des habituels branleurs du service public, dans les défilés on voyait surtout des
jeunes et des vieux, catégories totalement étrangères au champ d'application de
l'embryon de loi dores et déja voté par les députés; les vieux jouissant de leur retraite,
assurée autant qu'intangible et les jeunes ne pouvant totalement ignorer la caducité
prévisible de mesures adoptées en 2010, au moment éminemment lointain où leur tour
viendra de raccrocher les outils.
Les vrais cons cernés par la réforme paraissent avoir choisi d'aller bosser, plutôt que
de perdre un jour de grève ou de RTT pour faire plaisir aux Chérèque-Thibaud et
emmerder le Président de la République. En tout cas, les taux de grévistes se révèlent
encore plus faibles qu'il y a quinze jours.
Bref, la mobilisation -dont chacun sait bien qu'elle n'est pas la guerre, comme disaient
les politicards de 39- ne s'apparente pas vraiment à une lame de fond.
Ce que constatant, nos bons syndicalistes, réunis pour tirer les leçons de cette belle
première journée d'automne revendicative, viennent de décider de remettre le couvert
le 2 Octobre prochain, un samedi. Ainsi, les masses laborieuses pourront elles
exprimer leur antisarkozysme sur fond de retraite sans pour autant perdre de pognon
ni mécontenter le patron.
Tout bien considéré, le sacrifice semble léger qui consiste à carboniser une sombre
journée d'Octobre afin de battre le pavé de l'Est parisien et faire monter jusques au
tréfonds des cieux, la voix tonitruante des travailleurs soucieux de cesser le plus vite
possible de justifier une telle qualification.
Toutefois, comme il convient essentiellement de ne pas laisser tomber une aussi
jolie mayonnaise, on remettra ça dix jours après, avec une sympathique journée
de grève et de revendication qui tombera en plein débat au Sénat.
Ce dernier consentira alors les petits aménagements décidés depuis longtemps
entre MM. Soubie et Thibaud.La victoire des syndicats éclatera ainsi au grand jour
et viendra clôturer à la satisfaction générale, la grandiose pantalonnade qui illustra
si magnifiquement la lutte, finale et sans merci, des damnés de la terre contre la
réformette sarko-woerthienne.
Le Président de la République Une et Inconstructible pourra de la sorte s'ennorgueillir
en 2012 du courage inébranlable qui lui permit d'assurer la pérennité provisoire de
notre système de retraite par ponzirépartition. Dans le même temps son adversaire
socialiste ne manquera pas d'insister aussi lourdement que possible sur le caractère
scandaleusement injuste d'une réforme qui fait porter aux malheureux salariés le poids
écrasant du financement de leur propre assurance vieillesse.
Et en définitive, comme au préalable on s'était plus ou moins mis d'accord sur
le scénario, tout le monde sera content du film. Chacun pourra en retirer les
avantages qu'il en attendait, pour une mise de fonds somme toute très raisonnable.
Ainsi va la vie politique. On nous bassine à longueur de temps avec des pitreries
destinées à nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
De quoi s'agit il, au fond, dans cette affaire? De mettre définitivement hors de danger
le système de retraite par répartition? Jolie plaisanterie. Il est foutu, le régime
en question, ses années sont comptées. Vous ne pensez tout de même pas que
les petits blacks et les petits beurs, substantifique moëlle de notre merveilleuse
croissance démographique, vont marcher dans la combine et nous payer nos
retraites? Foutaise, bien sûr. Et nos pauvres descendants, vous les voyez, vous,
assumer la sacro-sainte solidarité inter-générationnelle à eux tous seuls, avec un
retraité pour un actif? Foutaise, vous dis-je, imposture et ineptie. Tout cela, à terme,
se cassera imparablement la gueule et personne n'y peut plus rien. C'est le
résultat des options sociétales, comme on dit aujourd'hui, prises depuis trente-
cinq ans. Et en trente-cinq ans on a largement le temps de foutre un pays par
terre, fût il celui des sans-culottes et des sans-papiers.
Non, en réalité le véritable but de la comédie consiste à faire tourner le fonds de
commerce de tous les prébendiers de la démocratie, qu'ils se disent de droite ou de
gauche, qu'ils émargent à la congrégation politique ou bien au clergé syndical.
Celui-ci ne cherche qu'à assurer sa réélection, ceux-la désirent ardemment lui
piquer la place. De la qualité du spectacle qu'ils offrent aux électeurs dépendra le
succès ou l'échec. Le reste ne revêt qu'une importance marginale.
Bien sûr, ceux qui sont aux affaires ont moins la possibilité de déconner. Il faut bien
qu'ils sortent quelque chose d'à peu près cohérent, pas n'importe quoi, comme
l'opposition. Mais ce qu'il faudrait vraiment faire pour sortir du pétrin, n'y comptez pas!
S'ils le font, ils se cisaillent définitivement les pattes. Et dans la course au pouvoir, ça
ne pardonne pas, bien entendu.
Et le citoyen, dans tout ça? Le légitime détenteur de la souveraineté ou de ce qu'il
en demeure encore, il fait quoi dans ce pataquès?
Rien, il gobe. Il avale tout rond les calembredaines que lui concoctent les politicards,
les syndicateurs et les journaleux. D'ailleurs il en reçoit de tous les côtés. Et jamais les
mêmes.
Alors il n'y comprend absolument rien, le citoyen, il se balade tout le temps à côté
de la plaque et forcément il la joue à l'estime, à la sympathie ou à la haine
irraisonnée, comme en ce moment contre le malheureux Sarkozy.
Enfin, malheureux pour dire de la jouer poétique, tout de même.
Et voilà pourquoi on voit tous ces corniauds défiler comme un troupeau d'onagres diarrhéiques, derrière les jolis drapeaux rouges et oranges des grands prêtres de
la revendication ouvrière.
Et puis, vous avez le gros des troupes qui subit, qui regarde sans comprendre, qui
s'emmerde à attendre son TER sur trois et qui se dit qu'autant s'en foutre parce que
de toute façon, la farce se joue en dehors de son champ de compétence.
J'aimerais bien que ce soit différent (voir La République ne nous appelle plus. )
mais l'optimisme fonctionne mieux à l'orée des vacances...
Tout ça pour dire que s'agissant d'affaires sérieuses, nos grands pontifes ne sauraient
agir sans un minimum d'organisation préalable. On se tape sur la gueule mais, en
loucedé on s'échange quand même la rhubarbe et le séné. Le métier, quoi, faut pas
jeter le bébé avec l'eau du bain, chacun pour soi mais la démocratie pour tous.
Ne laissons pas le hasard agir à notre place, c'est bon seulement pour les abrutis
qui jouent au loto.
Alors la réformette sarko-woerthienne, je suis prêt à parier qu'elle se réalisera
comme prévu entre ces braves sociétaires du théâtre républicain.
A moins... à moins que les lycéens ne viennent mettre leur grain de sable dans la
mécanique. Il en est fortement question et leur présence en plein milieu de la scène
démontrerait l'extraordinaire maturité du corps social nouveau qui voit désormais les
petits merdeux se préoccuper grave de leur retraite.
Mais ne persiflons pas, mes amis, la seule force qui pourrait aujourd'hui faire plier
le Président, le Premier Ministre et tout le gouvernement, foutre en l'air la stratégie
laborieusement mise en oeuvre par ces braves gens avec leurs ennemis jurés du
camp d'en face, ce sont bien les petits lycéens. Prions pour que les gauchistes qui
manipulent ces charmants bambins s'abstiennent de véroler la combine, sans quoi
on n'aura pas fini d'entendre parler des retraites.
Que Dieu vous ait en sa Sainte Garde,
Et merde pour qui ne me lira pas
.